Avertissement : Si vous vous attendez à un article invoquant le spectre de Thomas More et une société idéale suavement poétique, vous faites fausse route. Il s’agira simplement de projections temporelles éclaboussantes.
Nous l’avons tous entendu des milliers de fois dans le cadre moisi du couple dysfonctionnel : « il ou elle a du potentiel, il faut juste lui laisser du temps ». Vous regardiez alors vers le potentiel en question et votre regard stupéfait tombait sur un homme en jogging slim avachi dans un canapé devant des inepties télévisuelles (pléonasme) ou une femme grimaçante d’hystérie sous son fond de teint orangé et toute aussi avachie. Dans ces cas là, nous regardions l’ami prononçant cette phrase avec compassion, condescendance ou agacement (tout dépend de votre degré de tolérance au déni ou à l’aveuglement d’autrui).
L’ami essayait ensuite de se rattraper en vantant un acte de bravoure de son partenaire, pour vous prouver le potentiel : « hier, il m’a beaucoup aidée, il a mis sa tasse à café dans le lave-vaisselle et il y a 23 jours, nous avons eu un rapport sexuel en chaussettes qui a duré plus de 6 minutes douche comprise » ou « la semaine dernière, elle a annulé sa séance d’aqua-poney pour appeler le 18 alors que je me vidais de mon sang après une chute dans l’escalier et elle a eu la prévenance de flirter avec les pompiers pour qu’ils s’occupent mieux de moi ».
Malheureusement, toutes ces glorieuses justifications tombent dans l’oreille d’un sourd car du haut de notre détachement, nous avons bien constaté que la phrase répétée depuis plusieurs années n’a aucun pouvoir magique sur la réalité, jamais elle ne transforme les immondes crapauds sus nommés en charmantes créatures. Et notre ami se débat puis s’enfonce dans les marécages de sa croyance, se disant que tout est affaire de temporalité. Si je me place côté compassion, je peux en effet concéder que si le couple en question pouvait vivre 6000 ans, au rythme de la limace au galop auquel il évolue, peut-être que le fameux potentiel aurait une infime chance de s’exprimer… Mais je laisse l’agacement exprimer la cruelle vérité : cela n’arrivera jamais !
Pourtant, le pire reste à venir, car s’il est affreux d’entendre cette phrase, il est bien pire de la prononcer. Car cela signifie que nous sommes, nous-même, enfermé dans une relation tristement cliché et néanmoins toxique et que nous avons décidé de fermer les yeux sur la véritable personnalité de l’objet de nos sentiments. Et nous voilà en couple avec une personne qui, la plupart du temps diminue considérablement la qualité de notre vie, mais nous restons pour une question de temporalité. Car nous sommes sûre d’être la seule à avoir décelé la petite étincelle derrière ce regard éteint qui ferait passer un poisson mort depuis deux jours pour un joyeux drille. Nous sommes seule contre le monde entier à penser que grâce à la pureté de notre amour, à notre patience angélique, à notre masochisme adoubé socialement, cette personne va se réveiller et devenir le partenaire dont nous rêvons.
Les vieux grimoires mentionnent qu’en 1426, une personne à potentiel aurait réussi à le réaliser et qu’elle vécu heureuse avec la moitié qui avait vaillamment espéré à ses côtés pendants plus de 30 ans. Tous les témoins étant morts, il est difficile d’en vérifier la véracité, nous pouvons donc concéder avec optimisme que c’est là l’exception qui confirme la règle. Et du coup, vous pouvez jouer à la loterie en espérant que vous serez la prochaine exception ou vous résigner à abandonner le support de vos fantasmes temporels pour chercher une personne qui n’attend pas votre perspicacité de chien limier pour assumer sa vie, ses envies, ses ambitions. Ce sera douloureux sur le moment et cela durera pendant quelques semaines où vous mangerez tristement de la glace en écoutant « With or Without you » de U2 et en pleurant au téléphone. Mais quand vous serez remise et que vous rencontrerez un être réellement enthousiasmant, dénué de vos cristallisations, vous réaliserez que c’est cela une vraie relation passionnante et équilibrée.
Tout cela pour dire que ceci n’est pas la promotion des relations kleenex, je ne prône pas le jetage immédiat de votre amoureux à la moindre hésitation, à la moindre faiblesse. Je parle de relations où les dysfonctionnements sont chroniques, ancrés, ou l’expérience et le quotidien vous ont montré à de multiples reprises que cette personne ne voulait ou ne pouvait pas changer. Dans ce cas là, il s’agit d’un mouchoir en tissu passé et repassé à la machine mais qui reste irritant pour vos naseaux, hideux à regarder et désagréable au toucher, il faut donc se résigner à s’en débarrasser.